Voici la 3ème et dernière partie de l’article sur les épreuves du parcours entrepreneurial et les moyens de les surmonter. Dans la partie 1 (à lire ici) et dans la partie 2 (à lire ici), nous avons traité des épreuves 1 à 6. Nous développons dans cette partie les épreuves 7 et 8.
7. Préserver son équilibre personnel
L’aventure entrepreneuriale est exigeante. Semée de difficultés et d’imprévus, elle peut nécessiter un rythme de travail très élevé et générer du stress. L’entrepreneur doit donc veiller à se préserver : gérer son stress, faire attention à son corps, veiller à son équilibre financier personnel et protéger sa vie personnelle et familiale.
- Gérer le stress
L’entrepreneur rencontre, dans son parcours, divers obstacles qui génèrent du stress, et ce stress à un niveau trop élevé, peut provoquer de la souffrance et avoir un impact sérieux sur sa santé.
Le stress, une fonction vitale de l’organisme
Commençons par définir le stress. Patrick Légeron, psychiatre spécialiste du sujet, nous en parle dans son excellent ouvrage « Le stress au travail ». Le stress est une fonction fondamentale de notre organisme pour s’adapter aux menaces et aux contraintes de notre environnement, c’est une réaction d’adaptation qui se traduit par la libération dans notre sang de substances chimiques. Ses effets sont une augmentation du rythme cardiaque, de la fréquence de respiration, du tonus des muscles, de la sudation et un impact au niveau digestif. Il existe 2 types de réponses en fonction de la situation: le « stress aigu » qui nous met en alerte pour agir rapidement sur un élément stresseur qui apparaît et le « stress chronique », qui nous permet non d’agir mais plutôt d’endurer un agent stresseur qui se maintient.
Le stress est une fonction vitale pour nous mettre dans le meilleur état physique et mental face a une situation. A un niveau trop élevé, il est bien sur nocif car il nous use physiquement et mentalement mais à un niveau trop faible, il peut être nuisible et nous mettre en danger s’il ne mobilise pas assez nos ressources. Il existe donc un niveau de stress optimal, qui correspond à cet état d’alerte et de vitalité qui nous permet de nous adapter, d’être performant et efficace. Les sportifs et les artistes connaissent bien ce « bon stress », variable en fonction de chaque personne, les entrepreneurs également. Entreprendre, c’est chercher à relever des défis, qui déclenchent cette forme positive du stress qui pousse à se dépasser et à apprendre.
Les effets dévastateurs du stress
Cependant, à un niveau élevé et sur la durée, le stress peut avoir des effets néfastes sur l’état psychologique et la santé. Sur le plan psychologique, il active des émotions négatives telles que la peur et l’angoisse face aux dangers perçus, la colère et l’agressivité face aux agents stresseurs et parfois également le détachement et l’indifférence. Ces émotions négatives peuvent évoluer vers des troubles émotionnels, tels que l’anxiété (caractérisé par un vécu permanent d’inquiétude et d’appréhension, une tension chronique), la dépression et le burn-out (l’épuisement professionnel, dont je parle dans l’article Prévenir le burn-out en développant son cercle d’influence ). Sur le plan physique, un stress trop aigu peut avoir également de graves conséquences. Il peut avoir des effets nocifs sur le cœur en favorisant les maladies cardio-vasculaires et être un facteur de risque pour le développement de certaines formes de cancer.
Comment gérer son stress
Face à une situation stressante, nous faisons une double évaluation. D’abord l’évaluation des menaces et des risques, ensuite l’évaluation des ressources en notre possession pour y faire face. C’est seulement ensuite que notre organisme provoquera une réaction de stress plus ou moins aigu en fonction de cette évaluation. Pour faire face à notre stress, nous avons donc 2 façons d’agir, tenter de diminuer la réaction de stress sur le plan physiologique et émotionnel (en se relaxant ou en faisant une activité plaisante) ou sur le plan psychologique (en relativisant, en pensant à autre chose) ou bien tenter de contrôler la situation stressante (en apportant une solution au problème ou en le fuyant).
Une première méthode consiste à opposer à la réaction de stress une réponse de relaxation. Il existe des relaxations physiques pour détendre les muscles et ralentir le rythme cardiaque, des relaxations psychologiques, telles que la sophrologie ou l’hypnose et des relaxations d’ordre philosophique telles que la méditation ou la prière.
Une deuxième méthode consiste à changer la façon dont nous raisonnons. Ce sont nos « discours intérieurs », nos croyances et nos pensées qui provoquent le niveau de stress que nous connaissons. On peut donc discuter les pensées négatives qui nous traversent, tenter de voir les choses sous un autre angle et choisir d’implanter de nouvelles pensées moins stressantes. Ce travail personnel peut se faire seul ou bien accompagné par exemple lors d’une psychothérapie.
Une troisième méthode consiste à agir sur les problèmes qui nous stressent. On peut tenter d’apporter des solutions en réglant en priorité les problèmes urgents et importants afin d’éviter qu’ils soient une source de souci durable, établir des rapports assertifs avec les autres (je défends mes droits tout en respectant ceux des autres) et bien sûr éviter quand cela est possible les personnes et situations nocives et stressantes.
- Ménager et entretenir son corps
Longues heures de travail, peu de sommeil, pas de vacances, il arrive souvent que l’entrepreneur ne se ménage pas physiquement, voire qu’il se néglige. Le stress aidant, il peut également développer des réactions de compensation comme des troubles alimentaires tels que la boulimie ou l’hyperphagie et des addictions. Les 2 premières années suivant la création de mon entreprise, j’ai fumé de plus en plus, jusqu’à atteindre 2 paquets de cigarettes par jour avant d’arrêter net. Comme un sportif de haut niveau, l’entrepreneur a besoin d’être en possession de ses moyens physiques. Alimentation équilibrée, hygiène de vie et exercice physique permettent en plus de conserver sa santé, d’augmenter son niveau d’énergie et de renforcer sa santé mentale et notamment son estime de soi.
- Veiller à son équilibre financier personnel
Entreprendre est risqué, et c’est souvent parce que l’entrepreneur est peu averse au risque qu’il ose se lancer. Il peut également lui arriver de se mettre en danger financièrement. J’ai souvent l’impression que la pyramide des besoins de l’entrepreneur est une pyramide de Maslow inversé. Il assouvit d’abord ses besoins d’accomplissement, sans trop se préoccuper de ses besoins vitaux, en imaginant que ceux-ci seront comblés à l’avenir par ses succès futurs. Pourtant, l’entrepreneur doit être vigilant et se préoccuper de sa santé financière, et il y a quelques règles simples. Penser que ce qui est investi (y compris les cautions personnelles) peut être perdu, imaginer et prévoir les scénarios où aucun chiffre d’affaires n’est généré (car ça n’arrive pas qu’aux autres). Au-delà des besoins de trésorerie de son entreprise, s’assurer de savoir comment ses besoins financiers personnels sont remplis et le prendre en compte dès le début du projet. Si on n’a pas les moyens de lancer une entreprise sans subvenir à ses propres besoins, soit on ne le fait pas, soit on commence son projet entrepreneurial en parallèle de son emploi, soit on trouve une source de revenu supplémentaire.
- Protéger sa vie personnelle et familiale
L’entrepreneur a tendance à mélanger sa vie professionnelle et sa vie personnelle, soit en faisant de son engagement professionnel un projet personnel, soit parce que la vie professionnelle déborde totalement sur sa vie personnelle. Si on souhaite entretenir ou développer une vie sociale et familiale, on devra tenter de séparer les moments où on travaille et ceux que l’on passe avec des proches. Cette séparation peut se manifester par le fait de ne pas regarder sans cesse ses emails professionnels sur son smartphone le soir venu, savoir parler d’autres choses que de son entreprise avec ses proches, et savoir s’investir ailleurs que dans son travail. Préserver son équilibre personnel, c’est aussi préserver sa famille, matériellement et psychologiquement. L’entrepreneur devra veiller à protéger ses proches en tentant de ne pas les mettre en danger inutilement. D’abord matériellement, quand on investit ses ressources personnelles, on n’apprécie pas son risque personnel de la même façon si on est célibataire ou si d’autres personnes dépendent de soi, on devrait prendre moins de risque dans le second cas. Ensuite psychologiquement, si ses proches peuvent le soutenir, l’entrepreneur ne doit pas abuser de ce soutien en faisant attention à ne pas les épuiser, que ce soit en aspirant leur énergie vitale par des complaintes et des appels au secours incessants, on appelle ça le « vampirisme psychique », ou bien en exprimant son angoisse et sa frustration en étant agressif avec eux.
8. Connaitre des échecs et rebondir
Tous les entrepreneurs connaissent des échecs, des petits, des moyens ou des grands. Mais l’échec ultime pour un entrepreneur est de perdre tout ou partie de ce qu’il a investi en étant obligé de cesser son activité, soit en fermant volontairement l’entreprise, soit en déposant le bilan quand l’entreprise ne peut plus rembourser ses dettes. L’échec fait partie du parcours entrepreneurial mais peut être un traumatisme très douloureux. On peut toutefois s’en relever et rebondir.
- L’échec, composante naturelle du parcours entrepreneurial
Quand on se lance, on doit avoir conscience que la mort d’une entreprise est un élément naturel du cycle de vie entrepreneurial. Ce qu’on crée aujourd’hui peut demain s’arrêter. Chaque année en France, environ 500 000 entreprises naissent et 60 000 entreprises meurent et une statistique de l’INSEE montre que près de 1 entreprise sur 2 ne dépasse pas 5 ans d’existence. Dans la culture entrepreneuriale, héritée des Etats-Unis, l’échec est un passage obligé de l’entrepreneur, il fait partie de son voyage initiatique et de sa formation. De son échec, l’entrepreneur tire des ressorts et acquiert un savoir et des compétences qui lui permettront peut-être de réussir la prochaine fois. Nombreux sont les entrepreneurs célèbres comme Henry Ford, Bill Gates, Walt Disney qui ont connu des échecs retentissants avant de connaitre le succès. Je me souviens des conseils de mon ancien patron, Alec Gores, self made man américain, milliardaire et fondateur de The Gores Group, fonds d’investissement pour lequel j’ai travaillé. Alec ne cessait de nous répéter quand il s’adressait à l’équipe, « I want you to make mistakes ». Et j’avais du mal à comprendre totalement ce qu’il signifiait. Il voulait en fait que l’on prenne des initiatives et des risques, quitte à se tromper et à échouer, car c’était pour lui l’unique moyen de progresser et d’avancer.
- Prévenir l’échec?
Il est difficile de prévenir un échec, car il est impossible de prévoir ce qui marchera et ce qui ne marchera pas, mais on peut prendre quelques précautions et agir pour que l’échec, si il se présente, soit moins douloureux.
Ne pas surinvestir
D’abord, on peut éviter le surinvestissement financier, émotionnel, matériel dans son projet entrepreneurial, en diversifiant ses investissements sur d’autres projets, personnels ou professionnels. En effet, plus l’investissement dans l’entreprise est grand, plus la perte est douloureuse. On ne percevra pas de la même manière l’échec d’un projet dans lequel on a investi 1 mois de travail et peu d’argent et l’échec d’une entreprise dans laquelle on a investi toutes ses économies et 10 ans de sa vie.
On peut également contenir l’échec en ayant une approche itérative pragmatique et moins risquée. En effet, on peut avancer petit à petit dans son projet par une succession de petits investissements dont on observe les résultats avant de poursuivre plutôt que de faire dès le début un gros investissement plus risqué. C’est la technique des petits pas, qui permet une progression plus lente mais moins dangereuse.
Savoir lâcher prise
Enfin, quand la situation s’assombrit, que les indicateurs commerciaux et financiers sont mauvais, il faut éviter de se mentir à soi-même, jauger ses ressources, ses envies et évaluer l’option d’arrêter, sérieusement. Certains, malgré les déconvenues et les mauvais résultats, jouent un personnage aux antipodes de ce qu’ils vivent réellement et prétendent que leurs affaires se portent pour le mieux. On comprend la nécessité de faire bonne figure face a un public professionnel mais le marketing personnel a des limites. Il ne faut pas hésiter à en parler à quelques interlocuteurs à qui on fait confiance, pour écouter leurs avis et envisager ses options avec eux. Il faut également se méfier d’une forme de persévérance qui est en réalité un simple refus d’abandonner par principe. De nombreux entrepreneurs mettent plusieurs années avant de fermer une affaire en mauvaise posture. Parce qu’ils n’arrivent pas à lâcher prise, ne veulent pas abandonner. Mais il y a des projets qu’il vaut mieux abandonner. C’est seulement après coup, qu’on peut regretter d’avoir perdu du temps et de l’énergie qu’on aurait pu investir ailleurs.
- Le triple traumatisme de l’échec
L’échec entrepreneurial peut avoir un impact important sur l’entrepreneur et provoquer un véritable traumatisme. Philippe Rambaud, créateur de 60000 rebonds, une association venant en aide aux entrepreneurs qui ont échoué pour les aider à rebondir, décrit très bien le triple traumatisme que connait l’entrepreneur qui échoue. D’abord le traumatisme personnel; un entrepreneur qui échoue perd une partie de son être en même temps que son entreprise. Il éprouve un sentiment de honte, la honte de s’être trompé et d’avoir trompé ceux qui lui ont fait confiance, actionnaires, employés, clients… Il connait donc perte de vitalité, honte et culpabilité. Ensuite, le traumatisme financier; beaucoup d’entrepreneurs y perdent toutes leurs économies, ils mettent souvent leur caution personnelle en garantie d’emprunts et mettent rarement en place des assurances privés. Enfin, le traumatisme professionnel et sociétal; malgré le changement de mentalité récent sur l’entrepreneuriat, l’entrepreneur qui a connu l’échec est encore perçu comme un loser, un mauvais et son parcours atypique fait qu’il a du mal à se réintégrer dans le monde professionnel. Dans l’imaginaire commun, les bons réussissent et les mauvais se plantent. Jusqu’en 2013, les dirigeants ayant connu un dépôt de bilan étaient d’ailleurs fichés à la Banque de France.
- Se reconstruire et rebondir
Rebondir n’est pas une chose facile et immédiate après un échec, surtout si le choc a été violent. Il peut se faire en plusieurs étapes.
Faire le deuil : Puisque l’échec est vécu comme une perte, il faut prendre le temps d’en faire son deuil. Selon la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross, le deuil se fait en 7 phases, le déni – « c’est impossible » -, la peur – « que vais-je devenir ? » -, la colère – « c’est la faute des investisseurs » -, la tristesse – « ma vie est foutue » -, la négociation, l’acceptation et, enfin, la découverte des ressources cachées – « je peux commencer un nouveau projet ».
Se reconstruire : Il est également important de pouvoir partager ses émotions et parfois d’être accompagné par un psychothérapeute ou un coach pour faire le point sur son échec, en faciliter le deuil et pouvoir passer à autre chose. Un traumatisme peut réveiller des souffrances ou provoquer l’apparition chez l’entrepreneur de nouvelles croyances telles que » je suis nul » ou « je ne me relèverai pas de cet échec ». Il est important de pouvoir les remettre en cause et de s’en défaire.
Analyser les causes de l’échec : Il est très difficile d’expliquer toutes les raisons d’un échec. Chaque échec est différent et il y a souvent des raisons indépendantes de la volonté de l’entrepreneur et également des défaillances personnelles. L’objectif de l’analyse de l’échec n’est pas de développer un sentiment de culpabilité ni un sentiment d’injustice mais de tirer des enseignements de l’expérience. C’est l’occasion de mieux se connaitre, de déceler ses forces et ses faiblesses mais aussi d’être à l’écoute de ses goûts et de ses désirs (Je vous invite à ce sujet à lire l’article Définir ses motivations profondes pour trouver sa voie).
Engranger à nouveau des succès : Après un échec, l’entrepreneur perd souvent confiance en lui. Il est alors utile qu’il s’active pour engranger à nouveau des succès. On peut se fixer des petits objectifs de réussite, très faciles à atteindre. Par exemple, suivre un cours, organiser un voyage, refaire du sport et se féliciter quand on a réussi.
Construire un nouveau projet : Après avoir analysé son échec et pris conscience de ses forces et faiblesses, on peut ainsi bâtir un nouveau projet, qui soit plus en phase avec sa personnalité, mais également avec ses désirs et ses envies. Les chemins que poursuivent les entrepreneurs après avoir échoué sont très variés. Certains entreprennent à nouveau, soit immédiatement si ils en ont les ressources financières et l’énergie, soit après une pause. D’autres reprennent un emploi salarié. D’autres encore amorcent un changement radical de carrière et même de vie en se découvrant une vocation ou en vivant une passion, en devenant par exemple comédien, coach de vie, professeur de yoga, psychologue ou encore musicien.
Fin de l’article.
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Fondateur de WINGMIND, David Chouraqui est conseiller et coach de dirigeants et d’équipes de direction. Il est spécialisé en audits RH, assessment des dirigeants et accompagnement des changements et des transformations.