Voici la suite de l’article sur les épreuves du parcours entrepreneurial et les moyens de les surmonter. Dans la partie 1 (à lire ici), nous avons traité des épreuves 1 à 4. Dans cette seconde partie, nous développons les épreuves 5 et 6.
5. Appréhender les difficultés de la relation aux autres
Savoir interagir avec les autres est indéniablement un facteur clef de succès pour l’entrepreneur, mais le rapport aux autres est tellement complexe qu’il peut aussi être une source d’épuisement et de souffrance. Nous étudierons ici les difficultés des relations que l’entrepreneur peut entretenir avec son entourage proche, avec ses associés, avec ses clients et avec ses employés.
- L’ambivalence de l’entourage
L’entrepreneur entretient généralement avec son entourage, constitué de sa famille et de ses amis, des relations empreintes d’amour, d’affection et de bienveillance. Cet entourage peut avoir, de par sa proximité affective, un impact sur son parcours. Lorsqu’un entrepreneur se lance dans un projet, son entourage peut avoir 2 types de réactions et de comportements.
Premièrement, des réactions d’encouragement et de soutien, émotionnels, matériels ou financiers. Ce soutien est très précieux, car on s’en rend bien compte, le chemin est semé d’embûches, mais il peut être déconnecté de la réalité du projet, uniquement motivé par une envie d’aider. Quand les proches d’un entrepreneur investissent dans son projet, on parle bien de « love money », d’argent investi par amour plus que par souci de rentabilité et par confiance en l’entrepreneur plus que par analyse rigoureuse du projet. L’entrepreneur doit avoir conscience de ce biais, il ne peut pas totalement se fier aux jugements de ses proches et doit être également vigilant à ne pas leur faire prendre trop de risques.
Deuxièmement, des réactions de désapprobation et de mise en garde, motivées par l’inquiétude et la peur de l’échec. Les critiques de l’entourage peuvent être valides et utiles mais elles peuvent aussi s’avérer excessivement négatives. Un entourage dans une posture protectrice aura tendance à se focaliser uniquement sur les risques de l’entrepreneuriat. Un réquisitoire abusif peut avoir comme conséquence de démotiver et participer à saper le moral de l’entrepreneur. Il arrive d’ailleurs fréquemment que ce dernier soit particulièrement sensible et susceptible aux remarques négatives de ses proches.
Alors, que peut faire l’entrepreneur? D’une part, il doit savoir faire la part des choses entre les réactions positives et négatives de ses proches et trouver la bonne distance à mettre entre son projet et son entourage. D’autre part, il peut chercher, hors de son cercle proche, des interactions dépourvues de sentiments, avec des partenaires professionnels objectifs : par exemple rencontrer des investisseurs qui évalueront froidement son projet ou démarcher des prospects inconnus qui jugeront uniquement de la proposition de valeur de son produit.
- Les contraintes de l’association
S’associer quand on crée une entreprise a plusieurs avantages. On décuple ses forces à plusieurs, ce qui permet de faire progresser le projet plus rapidement. On partage également la prise en charge des problèmes et on est plus fort face aux difficultés. Enfin, une aventure collective peut être plus motivante et stimulante qu’un projet solo.
Toutefois, l’association a également son lot de désavantages. Pour commencer, on accepte de céder une partie de ses capitaux et de ses gains potentiels futurs. On passe toutes ses journées avec des gens qui ont certes des qualités mais dont on peut avoir du mal à supporter les défauts. On doit prendre en considération les avis des autres associés pour prendre des décisions. Et puis il y a des problématiques d’ego, où chacun doit trouver sa place dans l’entreprise au fur et à mesure qu’elle évolue. Si des associés s’entendent au moment de la création, il peut en être autrement plus tard. Points de vue divergents, implications et motivations différentes peuvent provoquer des conflits. Les phases de croissance et de crises de l’entreprise sont notamment des périodes sensibles, pendant lesquelles les associés peuvent questionner l’apport et le rôle de chacun. Nombreuses sont les associations qui se terminent mal, aboutissant à des séparations et parfois entraînant même la mort de l’entreprise.
Pour tenter de réussir son association, on peut d’abord s’assurer qu’on s’entend bien avec ses associés avant de s’engager, et fixer au moment de la création de l’entreprise des règles du jeu claires dans un pacte d’actionnaire qui envisage notamment les modalités de sortie et la gouvernance. Ensuite, les associés devraient favoriser la communication et la transparence entre eux, accepter que les choses puissent changer et s’assurer que chacun puisse trouver sa place. Enfin, il est possible qu’un ou plusieurs associés quittent l’aventure en chemin, il faut tenter de le faire avec délicatesse et de trouver un compromis, quitte à ce que la discussion soit encadrée par une médiation.
- L’exigence de la relation client
Les clients, raison d’être de l’entreprise, doivent être au cœur des préoccupations de l’entrepreneur, qui devrait aller à leur rencontre le plus tôt possible, pour comprendre leur besoin et tenter d’y apporter des solutions. Les premiers clients ne sont pas toujours représentatifs, ils font souvent partie de l’entourage de l’entrepreneur ou bien sont attirés par la nouveauté du produit. Si on veut évaluer la pertinence de son offre, il vaut mieux se fier à la deuxième vague de clients, ceux qui viennent et reviennent pour la pertinence de l’offre plutôt que pour rendre service.
Sollicités de toute part, les clients sont plus que jamais aujourd’hui infidèles et volatiles. Pour attirer et conserver leur intérêt, il faut continuellement déployer des efforts, pas uniquement pour les conquérir, mais aussi pour les satisfaire et les faire revenir. Comme une relation amoureuse, la relation à ses clients doit être renouvelée chaque jour et construite dans la durée. Attention, ils ne diront pas toujours quand il sont mécontents; dans la plupart des cas, ils s’en iront sans le dire. Il faut donc toujours leur demander leur avis pour s’assurer de leur satisfaction ou comprendre leur insatisfaction. (Pour poursuivre cette réflexion sur le client, je vous invite à lire mon article les fondamentaux de la vente : mettre le client au centre)
- La complexité de la fonction managériale
Certaines start-up connaissent une croissance fulgurante et passent de 3 à 100 personnes en seulement quelques années. Imaginez la montée en compétence nécessaire en terme de management et également la complexité de l’organisation à mettre en place pour recruter et manager 100 personnes en si peu de temps! Pour beaucoup d’entrepreneurs, les ressources humaines sont la première difficulté, de par l’énergie et le temps qu’elles exigent mais aussi par la complexité des situations. En effet, les missions et les challenges de l’entrepreneur dans ce domaine sont nombreux :
Manager, c’est d’abord savoir attirer et recruter des talents, motiver et retenir ses collaborateurs, savoir impliquer et faire participer ses équipes dans la prise de décision, savoir répondre aux besoins de reconnaissance et de sens de ses employés et à leurs problèmes, gérer des personnalités variées, parfois complexes et difficiles, assurer pour tous un certain bien-être au travail.
Manager, c’est aussi être capable de mettre en place une organisation du personnel agile, qui doit évoluer en même temps que se développe l’entreprise, savoir s’entourer de managers sur qui compter et apprendre à déléguer, développer une culture d’entreprise pour créer un « affectio societatis », un certain sentiment d’appartenance, et mettre en place des systèmes efficaces de rémunération, de promotion et de formation.
Manager, c’est enfin faire face aux moments de crise, se séparer de collaborateurs quand c’est nécessaire, devoir affronter des conflits ouverts, notamment aux prud’hommes ou devant les tribunaux, gérer les insatisfactions et parfois accompagner les drames personnels que peuvent vivre certains employés.
En conclusion, pour interagir efficacement et sereinement avec les autres, l’entrepreneur a besoin d’acquérir une certaine maturité relationnelle. Il lui faut privilégier des relations directes et saines avec les autres (voir mon article Ni victime, ni bourreau, ni sauveur : rétablir une relation saine à l’autre) et également être capable d’interdépendance, c’est à dire de pouvoir combiner ses talents et ses capacités avec ceux des autres pour créer ensemble quelque chose de mieux encore. Cependant, si certains développent assez naturellement ces compétences relationnelles, c’est pour beaucoup le travail de toute une vie.
6. Affronter la réalité
Porté par ses rêves et son désir d’autonomie, l’entrepreneur peut avoir tendance à vouloir prendre ses distances avec la réalité. Mais il est impossible de se détacher des contraintes du réel, qui peut parfois être brutal et difficile à accepter quand il contredit nos plans. Entreprendre n’est pas un moyen de « poursuivre ses rêves », il s’agit plutôt d’une occasion de confronter ses rêves à la réalité pour entrer de plain pied dans le monde qui nous entoure. Défaites-vous de vos croyances, de vos suppositions, de vos prévisions, et de vos fantasmes, si vous entreprenez, rien ne se passera comme vous l’avez imaginé. Tout met plus de temps que prévu, les résultats de nos actions ne sont pas ceux escomptés, et ce qui peut paraître simple à mettre en place ne l’est pas toujours. Vous pouvez avoir préparé une étude de marché très documentée, élaboré une offre bien ficelée et développé un business plan très approfondi pour les 5 prochaines années, ceci n’échappera qui comptera sera l’épreuve de la réalité. Mais encore faut-il ouvrir grand les yeux et savoir l’affronter. Selon moi, il existe 3 principaux écueils de l’entrepreneur face à la réalité : l’incapacité à prendre la mesure de ce qui arrive, la difficulté à prendre conscience de l’état de ses ressources et à les maîtriser et enfin l’inaptitude à prendre des décisions pour agir.
- Prendre la mesure des résultats
La première difficulté est de se frotter au réel pour mesurer les résultats de ses actions, notamment pour savoir quand ça ne marche pas et quand on fait fausse route. Il faut d’abord se fixer des objectifs clairs, atteignables et mesurables qui soient des points de référence, pour pouvoir ensuite réaliser quand on s’en éloigne.
Dés que vous vous lancez, tentez de vous confronter le plus tôt possible au réel. Ne restez pas hors sol, calfeutré dans la chaleur de votre bureau ou de votre domicile, à fourbir dans le plus grand secret votre « précieux » produit. J’ai moi-même mis près de 2 ans à sortir la plateforme web de ma précédente société, quelle perte de temps et quel surinvestissement inutile! Il aurait mieux valu présenter rapidement une plateforme plus simple à mes clients potentiels pour évaluer la pertinence de mon produit. Mais le perfectionnisme et la peur des résultats peuvent amener à sur-préparer un lancement. Prenez la température du réel rapidement et aussi souvent que possible. Mesurez l’impact de vos actions, soyez concentrés sur vos résultats pour savoir exactement où vous en êtes.
Où prendre la température? Ecoutez ce que vous disent vos prospects et vos clients, prenez la mesure de votre performance en termes d’activité et de rentabilité et n’hésitez pas à consulter l’avis de mentors, de pairs expérimentés ou d’experts.
Pour mesurer votre performance, vous pouvez garder l’œil sur 3 métriques essentielles : les ventes, les marges, le cash.
– D’abord, mesurer les ventes, le nerf de la guerre. Il est utile d’évaluer les montants, l’évolution mais aussi la récurrence de ses ventes. Vos clients reviennent-ils et, si ce n’est pas le cas, pourquoi?
– Ensuite, s’assurer de la rentabilité de votre affaire. Quelles sont les marges que vous réalisez, quel est le seuil de rentabilité (volume d’activité à partir duquel l’entreprise devient rentable). Faites attention à la méthode qui consiste à « offrir » son produit pour attirer des clients, avec le gratuit, vous n’êtes pas sur de l’intérêt que vous portent « les clients », vous ne réalisez aucune vente, et la marge d’un produit gratuit est toujours négative…
– Enfin, veiller à sa capacité à générer de la trésorerie! Vos clients vous paient-ils et dans quel délai? Est-ce que mon activité génère ou brûle du cash? Soyez très vigilant sur la trésorerie, première cause de fermeture des entreprises.
Une fois prise la mesure de ses résultats, on peut se projeter dans le court et moyen terme. Que va-t-il se passer si les choses continuent de la même façon? Si ce qui se profile n’est pas souhaitable, alors il faudra prendre des décisions.
- Prendre conscience du niveau de ses ressources pour les maîtriser
Affronter la réalité n’impose pas seulement de regarder avec lucidité ce qui nous arrive mais également d’avoir conscience de ce qui nous reste, de nos ressources disponibles. Tout entrepreneur commence son aventure entrepreneuriale avec certaines ressources : de l’argent, du temps, de l’énergie physique et mentale.
Concernant le temps et l’argent, il est essentiel de savoir ce que vous investissez et ce que vous êtes prêt à perdre. En réalité, vous devez être prêt à perdre ce que vous investissez. Alors au moment de vous lancer, déterminez le montant d’argent que vous êtes prêt à engager et le temps que vous vous donnez. Cependant, il arrive très souvent que l’on soit tenté d’investir plus d’argent et de passer plus de temps que prévus. Dans ce cas, on doit d’abord évaluer si on a les moyens de le faire sans se mettre en danger. Puis-je investir personnellement plus d’argent ou suis-je capable de convaincre des investisseurs sur mon projet, puis-je me donner plus de temps? Ensuite, on devrait se demander si on a envie de le faire après avoir évaluer le risque associé. Et enfin, on devrait définir précisément à quoi ces ressources seront allouées avant de décider de s’engager davantage.
Vos ressources sont rares et limitées, elles sont précieuses alors prenez en soin.
- Prendre des décisions pour agir
Le 3 éme défi est l’exercice le plus difficile dans l’épreuve de la réalité, c’est la prise de décisions. Prendre des décisions est indispensable pour ne pas laisser le sort et les autres décider pour soi. Ne pas décider, surtout quand les résultats posent problème, c’est souvent aller au devant de graves déconvenues, et presque toujours laisser la situation s’aggraver. On peut décomposer en 4 étapes le processus de décision :
Comprendre les résultats: Pourquoi? Pourquoi les clients ne sont pas satisfaits, pourquoi on ne vend pas, pourquoi on n’est pas rentable, pourquoi on ne génère pas assez de trésorerie. Sans un bon diagnostic, on n’apportera pas de bonne solution. Si un résultat est mauvais, il existe une ou plusieurs explications qu’il faut trouver. Là encore, on ne doit pas supposer, on ne doit pas croire, on doit vérifier, on doit demander et le mieux est d’impliquer les forces vives de l’entreprise pour vous aider à faire le diagnostic.
Evaluer ses options: Il convient ensuite de concevoir des options possibles, en envisageant ce qui a été fait dans le passé, en se renseignant sur les bonnes pratiques, en demandant l’avis à ses employés, en prenant conseil auprès d’experts hors de l’entreprise. Cette phase est essentielle car si on ne trouve pas de solution, on aura tendance à reproduire les erreurs du passé. Ne pas oublier que les mêmes causes produisent les mêmes effets…
Choisir: Vient alors le moment de trancher, après avoir évalué les avantages et les inconvénients de chaque option. Il vaut mieux se fixer une limite de temps pour se déterminer et ne pas reporter sans cesse la décision. On doit aussi abandonner l’idée de la décision parfaite, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision, il y a la voie que l’on choisit, l’important étant de s’être forgé une intime conviction et d’être capable de la défendre.
Agir: Enfin, pour le passage à l’acte, on définit des actions précises, des objectifs et des métriques pour mesurer les résultats. Il faut s’y préparer, les actions que l’on entreprend ne sont pas toujours couronnées de succès, bien au contraire. L’essentiel est de ne pas rester prostré, tétanisé par un résultat insatisfaisant et de réagir, en essayant autre chose, qui ait du sens. Il faudra recommencer indéfiniment ce processus « action-résultat » et se préparer à se tromper, beaucoup.
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Fondateur de WINGMIND, David Chouraqui est conseiller et coach de dirigeants et d’équipes de direction. Il est spécialisé en audits RH, assessment des dirigeants et accompagnement des changements et des transformations.