Plus de 30% des salariés se disent insatisfaits au travail, selon une étude menée en 2016 par Cegos. Ce désamour des salariés pour l’entreprise, je l’appelle le « desaffectio societatis ». Il s’agit du délitement du lien qui unit les salariés, les dirigeants et les actionnaires d’une société. Ce délitement se traduit par un désintérêt pour le projet commun d’entreprise, une dégradation de l’engagement collectif et une méfiance mutuelle entre dirigeants et salariés. Alors que certains salariés reprochent à leurs dirigeants d’être injustes, peu reconnaissants et uniquement motivés par la recherche de rentabilité, certains dirigeants reprochent parfois à leurs employés d’être déloyaux, individualistes et réticents à tout changement. Lorsque j’accompagne des managers en entreprise, je rencontre fréquemment des employés qui sont déçus, démotivés et se sentent injustement traités. Mais au-delà du profond mécontentement qui le caractérise, le « desaffectio societatis » fragilise grandement l’entreprise; comment, dans un environnement économique incertain et concurrentiel, une entreprise peut-elle surmonter les difficultés qu’elles rencontrent, si ses forces vives ne s’engagent pas pour elle? Comment réconcilier les salariés avec leur entreprise?
Voici 7 moyens de lutter contre le « desaffectio societatis » :
1. Fixer un cap
Comment est-il possible de susciter l’engagement des salariés si l’entreprise n’a défini aucune vision et aucune stratégie pour son avenir. Il n’y a pas pire que l’incertitude pour démotiver ses équipes. Pour mobiliser ses salariés, l’entreprise doit définir une vision claire et un plan d’action précis pour les années à venir. Et elle doit leur communiquer ce plan d’avenir tout aussi clairement. Quand il n’y a pas de stratégie claire impulsée par un management fort, il n’y a plus de cohésion dans l’entreprise et les conflits internes se multiplient, chaque département ou business unit poursuivant ses propres intérêts. Fixer un cap permet d’éviter cette compétition interne contre-productive et nuisible au sentiment d’appartenance.
2. Partager la création de valeur
On reproche souvent à l’entreprise un partage trop inégal de la création de richesse. Il parait pourtant logique d’aligner les intérêts des actionnaires, des dirigeants et des salariés. Quand les choses vont mal, des efforts sont demandés au personnel et des restructurations obligent parfois même à se séparer de collaborateurs. Des efforts devraient aussi être faits par les dirigeants, qui doivent montrer l’exemple en évitant « parachutes dorés » et rémunérations inadaptées aux résultats de l’entreprise. Quand l’entreprise crée de la valeur, tout le monde devrait pouvoir en bénéficier. On peut pour cela distribuer une partie des bénéfices aux salariés (on appelle ça la « participation des salariés ») mais aussi leur donner la possibilité d’entrer au capital et de devenir actionnaires, (éventuellement avec des actions gratuites ou à un prix préférentiel). Des « management package » (systèmes de rémunération) parfois très généreux permettent aux dirigeants de s’enrichir en cas de réalisation d’un business plan ambitieux, les salariés devraient aussi pouvoir bénéficier de ces mécanismes si tout se passe bien. Un traitement plus juste en cas de difficultés, une répartition de la création de valeur plus équitable, motiverait davantage les salariés et les inciterait à se sentir associés à l’avenir de l’entreprise.
3. Valoriser les plus anciens
On assiste dans un certain nombre d’entreprises à la mise au placard des plus anciens, remplacés par des jeunes salariés, moins coûteux, plus flexibles et en apparence plus adaptés aux défis actuels. L’air du temps est au « jeunisme » et à la démonétisation des plus vieux, qui lorsqu’ils perdent leur emploi, peuvent avoir du mal à rebondir. Une entreprise qui ne valorise pas ses plus anciens n’est pas respectable. Tout d’abord, même si cela est une forme de conservatisme, l’ancienneté devrait être prise en compte et récompensée. On devrait également impliquer davantage les plus anciens dans la formation des plus jeunes, car leur expérience est un atout formidable pour la transmission des savoirs et des savoir-faire. Enfin, on devrait s’assurer qu’ils ne soient pas mis de côté. Pour cela, on peut favoriser les équipes hétérogènes, composées de jeunes et d’anciens, et leur donner la possibilité d’être formés régulièrement, notamment sur le digital et les nouveaux outils.
4. Intégrer les plus jeunes
Dans un contexte de chômage de masse, l’entrée dans le monde du travail des plus jeunes est difficile. Leur découverte de l’entreprise se fait souvent dans la précarité et certains accumulent stages successifs et CDD sans visibilité pour la suite. L’entreprise ne doit pas considérer les plus jeunes comme des ressources bon marché interchangeables mais doit être capable de leur donner des perspectives d’avenir. Pour intégrer convenablement les nouveaux entrants, il faut d’abord leur donner le sentiment qu’ils pourront progresser dans l’organisation, qu’ils pourront s’y projeter. Ensuite, ils doivent être encadrés et formés pour développer leurs compétences. Les initiatives de « mentoring » sont d’ailleurs particulièrement appréciées par ces populations qui savent reconnaître la richesse de l’expérience des anciens. Ils peuvent aussi participer à du « reverse mentoring », c’est à dire former les collaborateurs seniors sur des sujets liés à la technologie et au digital. Cette transmission à 2 sens est en tout cas l’occasion de créer des liens entre les générations. Enfin, les plus jeunes doivent pouvoir exprimer leurs idées, avoir l’impression d’être écoutés, de contribuer et de participer au développement de l’entreprise.
5. Prendre en compte les aspirations entrepreneuriales
Dans un monde dominé par les start-ups, l’esprit entrepreneurial gagne du terrain et est en train de transformer les mentalités et les façons de travailler. Les aspirations des travailleurs sont donc différentes; ils souhaitent plus d’initiative, d’indépendance, d’autonomie et apprécient la nouveauté. Ils sont de plus en plus nombreux à rêver de faire partie d’une aventure entrepreneuriale et de créer une start-up. L’entreprise doit pouvoir accompagner ses nouvelles aspirations. Google encourage ses salariés développeurs à dédier 10% de leur temps à travailler sur des nouveaux projets, qui, si ils sont pertinents, pourront être développés en interne. Les entreprises développent l’incubation et l’excubation de projets internes, pour accompagner à l’intérieur ou à l’extérieur des salariés ayant des velléités entrepreneuriales et des idées à mettre en oeuvre. Enfin, le principe d’une relation exclusive entre le salarié et l’entreprise tend à disparaître, les travailleurs souhaitant parfois pouvoir développer des activités professionnelles complémentaires ou bien faire un break de 6 ou 12 mois pour lancer un projet personnel. L’entreprise doit pouvoir s’y adapter.
6. Développer les compétences managériales des encadrants
Lorsqu’on interroge des employés insatisfaits, beaucoup se plaignent des comportements de leur manager. La mésentente avec un manager est d’ailleurs une des raisons principales de démotivation. Le rôle de manager est très complexe et très exigeant. Devenir « manager », c’est passer d’une logique du « faire » à une logique du « faire faire ». La fonction impose de gérer sans cesse des paradoxes et des contradictions : par exemple, on doit être respecté tout en étant apprécié, on doit savoir imposer des décisions mais aussi consulter ses collaborateurs, assurer la stabilité mais également initier des changements. Manager, c’est savoir diriger, savoir motiver son équipe et savoir déléguer. Et tout cela n’est pas une science infuse, cela s’apprend. Malheureusement, la plupart des personnes qui sont amenées à encadrer, ne reçoivent que peu ou pas de formation de management. Les mauvais managers sont donc très nombreux et les conséquences sur leur équipe peuvent être désastreuses. Pour éviter cela, tous les encadrants devraient être formés et évalués régulièrement sur leur performance de management.
7. Traiter équitablement les hommes et les femmes
Voici une inégalité qui touche la moitié des salariés et contre laquelle l’entreprise doit lutter pour regagner le coeur des femmes. Les iniquités à l’égard des femmes dans le monde du travail sont nombreuses : discrimination à l’embauche, écart des salaires (avec un salaire moyen des femmes inférieur de 19% à celui des hommes), sexisme qui se traduit par la multiplication de stéréotypes insultants, inégalité dans l’évolution de carrière. On compte également très peu de femmes dans les postes clefs et dans les directions. Pour distinguer les entreprises qui mettent en place des pratiques favorisant l’égalité professionnelle homme-femmes, il existe d’ailleurs depuis 2005 un label « Egalité Professionnelle », créé par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux. De manière générale, l’entreprise devrait veiller à traiter de façon équitable tous ses salariés, quels que soient leur sexe, leur origine et leur singularité.
Fondateur de WINGMIND, David Chouraqui est conseiller et coach de dirigeants et d’équipes de direction. Il est spécialisé en audits RH, assessment des dirigeants et accompagnement des changements et des transformations.