La transformation digitale est au cœur de notre société et modifie en profondeur nos comportements et nos usages. Face à ses évolutions fulgurantes, les activités historiques de nombreuses entreprises matures sont mises à mal, en passe d’être « disruptées » et de s’effondrer. Afin de compenser ces pertes présentes ou à venir, les entreprises doivent donc prendre des initiatives pour trouver des relais de croissance et développer de nouvelles activités digitales en phase avec les nouvelles attentes de leurs clients. Elles doivent cibler des marchés porteurs et relativement matures, s’assurer de développer des propositions de valeur pertinentes, et être capables de faire vite et bien car la concurrence est forte. Pour y parvenir, elles peuvent mettre en oeuvre 4 stratégies possibles que nous présenterons ici.
1. Créer des start-ups : la démarche intrapreneuriale
Cette première stratégie semble la plus naturelle pour une entreprise, il s’agit pour elle de créer par ses propres moyens une nouvelle activité. Cependant, créer un nouveau business digital est difficile. Cela requiert d’abord l’acquisition de nouvelles compétences. Prenons l’exemple de Terraillon, fabriquant centenaire d’équipement de pesage, qui a réalisé sa transformation digitale ces dernières années afin de proposer aujourd’hui des pèse-personnes connectés, une application sur smartphone, et des services associés. Ce virage digital a nécessité de profonds changements: l’arrivée d’un nouveau PDG provenant de l’équipementier électronique LG, la définition d’un nouveau business model, le développement de la R&D, l’utilisation de nouveaux prestataires extérieurs. C’est près de 90% de son offre que Terraillon a renouvelé.
Mais toutes les entreprises ne mènent pas une transformation aussi radicale. Dans la plupart des cas, les activités nouvelles sont marginales par rapport aux anciennes et les contraintes à leur développement sont nombreuses : immobilisme, résistance au changement et poids de l’existant. Alors certaines entreprises ont trouvé une solution, elles créent de nouveaux business séparés de l’ancien. J’appelle ça le spin-up et j’en explique le concept dans l’un de mes précédents articles. En quelques mots, l’avantage de créer une entité nouvelle séparée est de pouvoir partir d’une page blanche pour gagner en agilité, en rapidité et en efficacité. En voici 2 exemples :
Axa a créé l’incubateur Kamet, une entité indépendante dans laquelle le groupe d’assurance a investi 100 millions d’euros. La mission de Kamet est de développer de nouvelles start-ups dans le domaine de l’insurtech capables de disrupter l’assurance classique et qui seront un jour incorporées dans le groupe. 80 personnes y travaillent et collaborent avec des entrepreneurs aguerris avec l’objectif de créer des start-ups en 1 an. Le processus est le suivant : idéation, sélection des projets, prototypages, fabrication, développement de partenariats et mise sur le marché. Kamet a récemment annoncé la naissance de leurs 2 premières start-ups : Qare, dont l’objectif est de réinventer l’accès à des services médicaux de qualité pour les patients et Fixter, présenté comme un « Uber de la maintenance des véhicules automobiles ».
OpnGo est un autre exemple de spin-up. La start-up proposant un service digital de réservation d’emplacement de stationnement est un spin-off du groupe InfraPark, spécialiste du parking et de la mobilité qui a décidé de créer une structure indépendante et y a investi 25 millions d’euros pour développer l’application qui a été lancée il y a quelques mois.
2. Développer des partenariats : la collaboration pragmatique
Les partenariats ont le vent en poupe car ils ont l’avantage de permettre aux entreprises de pouvoir rapidement proposer de nouveaux services à leurs clients ou bien d’entrer dans de nouveaux marchés sans pour autant avoir besoin de beaucoup de ressources. Dans le cadre du développement de nouvelles activités digitales, les partenariats, qui peuvent être commerciaux, industriels ou de co-développement, permettent d’utiliser rapidement les compétences d’entreprises technologiques en vue de créer des avantages compétitifs pour l’entreprise et en conséquence de générer des revenus supplémentaires. L’avantage d’un partenariat est le gain de temps et l’économie d’investissement. Avant de nouer un partenariat stratégique, un business plan doit être préparé. Chaque partie doit définir des objectifs clairs sur le retour financier qu’il espère dans les 12 à 18 mois et les rôles et obligations de chacun doivent être détaillés. La stratégie de partenariat est une approche pragmatique, qui considère qu’il vaut mieux partager un succès avec un autre, plutôt que de récolter tous les bénéfices d’un échec. Voici 2 exemples intéressants de partenariat :
La FNAC a récemment noué un partenariat d’envergure avec Deezer. En effet, après avoir tenté plusieurs années de développer sa propre offre de streaming musical avec JukeBox, la FNAC s’engage dans cet accord à arrêter son service, à transférer le contenu et les clients de JukeBox à Deezer et à promouvoir le service Deezer à sa clientèle. De son coté, Deezer orientera ses clients vers la billetterie de concert de la FNAC. Si le partenariat porte ses fruits, la FNAC envisage d’investir à l’avenir dans le capital de son partenaire.
Un autre exemple de partenariat stratégique est celui scellé entre Veolia, le groupe français de services d’eau, d’énergie et d’environnement et le géant chinois numérique Huawei. Les 2 acteurs ont en effet noué un partenariat pour pouvoir aborder ensemble le marché des villes intelligentes et de l’internet des objets. En effet, pour Veolia, Huawei a 2 atouts de taille; le groupe maîtrise toute la chaîne de collecte, de transmission et de traitement des données issues des objets connectés d’une part et il est chinois d’autre part, la Chine étant pour l’entreprise française le 2ème marché mondial.
3. Prendre des participations : la stratégie hybride
On assiste depuis plusieurs années au développement du « corporate venture capital ». Des entreprises créent des structures d’investissement pour prendre des participations dans des start-ups innovantes sur des secteurs stratégiques. Cette démarche d’investissement n’a rien à voir avec celle poursuivie par les investisseurs financiers qui recherchent un retour sur investissement immédiat. Les entreprises poursuivent à travers l’investissement un certain nombre d’objectifs stratégiques.
Un premier objectif est de rencontrer un certain nombre de start-ups, de comprendre les nouvelles technologies et les nouveaux usages, d’explorer des secteurs et des thématiques pour nourrir la stratégie d’innovation et de new business développement. Ainsi, le groupe MAIF, en créant MAIF AVENIR, une société d’investissement de 125 millions d’euros, accompagne un certain nombre d’entreprises dans le secteur de l’économie collaborative car il entend bien jouer un rôle prépondérant dans ce domaine.
Les prises de participations peuvent aussi favoriser et renforcer les partenariats stratégiques. En effet, l’injection de capital peut être un moyen de convaincre une start-up de consacrer des ressources et du temps à sceller un partenariat stratégique qui réponde aux problématiques opérationnelles de l’investisseur. Par exemple, le groupe Sodexo qui a récemment créé un véhicule d’investissement Sodexo Ventures doté de 50 millions d’euros, investit dans des sociétés avec lesquelles il peut nouer des partenariats commerciaux.
Enfin, l’investissement peut être une étape intermédiaire avant l’acquisition. On a par exemple assisté récemment à l’acquisition par La Poste de la start-up Stuart. La Poste avait investi 2 ans auparavant dans l’entreprise et détenait 22% du capital de la start-up spécialisée dans la livraison à la demande. La Poste considère en effet ce secteur comme stratégique, elle souhaite s’imposer comme le leader français et européen du dernier kilomètre dans les grandes métropoles et concurrencer Prime Now d’Amazon.
4. Faire des acquisitions : la croissance rapide
Les acquisitions peuvent être un moyen efficace de croître rapidement mais il faut en avoir les moyens. Il s’agit de racheter des entreprises qui peuvent soit renforcer une activité existante, soit constituer une nouvelle « plateforme » pour construire et développer une nouvelle activité. Acquérir permet de gagner du temps et d’engager une transformation qui n’aurait pas été possible autrement. Toute acquisition devrait en tout cas se faire sur la base d’un business plan attractif et solide et de synergies intéressantes. Dans le cadre du développement d’un nouveau business digital, on peut poursuivre 3 objectifs principaux, soit l’acquisition de briques technologiques ou techniques qui permettent de réinventer son offre ou ses opérations, soit l’entrée dans un nouveau marché, soit la conquête de parts de marchés supplémentaires.
Lorsque le constructeur Renault-Nissan a racheté l’éditeur de logiciels et d’applications Sylpheo, il l’a fait pour se doter des compétences qui lui permettront de développer des applications mobiles en rapport avec les véhicules. L’objectif est d’accélérer l’expansion de ses voitures connectées et de ses programmes de services liés à la mobilité.
Quand le groupe hôtelier Accor acquiert Onefinestay, un « Airbnb du luxe » spécialisé dans la location aux particuliers de résidences haut de gamme, son intention est d’entrer sur un nouveau segment de marché en croissance pour faire face aux nouveaux usages de la « sharing economy » et répondre aux besoins d’une clientèle qui délaisse l’hôtellerie traditionnelle.
Enfin, lorsque le géant américain de la distribution Walmart met en oeuvre une stratégie de « build-up » dans le e-commerce en faisant l »acquisition de plusieurs pures players sur internet ( Jet.com, ShoeBuy.com ou Moosejaw.com), il s’agit pour lui d’accélérer sa croissance sur le canal digital pour ne pas se laisser « disrupter » par les géants du web, Amazon en tête.
Fondateur de WINGMIND, David Chouraqui est conseiller et coach de dirigeants et d’équipes de direction. Il est spécialisé en audits RH, assessment des dirigeants et accompagnement des changements et des transformations.